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AUMÔNERIE La tricheUn tabou qui a la vie dure (article publié dans la revue des chefs SUF en juin 2003) Dialogue durant un CEP éclaireur : « Impossible de ne pas tricher aux concours des grandes écoles. Tout le monde triche. Celui qui renonce à tricher subit un handicap par rapport aux autres. Oui. En plus, en école de commerce, on nous apprend implicitement à tricher dans les tactiques de vente. La triche est devenue un usage toléré dans beaucoup d’endroits de la société. » Entendu dans la bouche d’un chef de groupe : « C’est difficile de mettre en garde les routiers et les guides aînées contre le fléau de la triche, dans la mesure où nous, adultes, nous flirtons souvent, dans la vie professionnelle, avec elle. Et je redoute que nos scouts et guides ne soient disqualifiés socialement par idéalisme. » Y aurait-il un consensus mou autour de la triche, même chez les scouts ? Tricher, n’est-ce plus une faute grave par rapport à l’art de vivre en chrétien ? A contrario, on a pu lire récemment, dans un quotidien, le sinistre fait divers d’un adolescent qui s’est suicidé en se pendant avec le fil de l’aspirateur. Il avait laissé une lettre : « Je ne peux plus vivre dans un monde où tout le monde triche ». La triche, comme tous les délits, ronge insidieusement les rapports entre les protagonistes du jeu de la vie. Car tricher n’est pas jouer. La triche développe une culture du mensonge dont les conséquences sont graves et profondes dans nos rapports avec les autres, dans notre relation avec Dieu – Lui qui est la Vérité – et dans notre estime de soi. Pour des routiers et des guides-aînées, il ne s’agit pas seulement de rappeler, avec l’autorité de la sagesse et de la morale, que « tricher, c’est mal ». La Boussole, le manuel des Chefs éclaireurs, dit, de façon claire et précise, ce qui, dans ce domaine, et inacceptable pour un garçon ou une fille qui a prononcé sa Promesse (p. 257). Il est urgent de réfléchir franchement sur la place et les conséquences de la triche dans nos vies. « Le scout et la guide mettent leur honneur à mériter confiance ». La triche peut apporter des avantages immédiats : un meilleur classement dans un concours, la victoire sur un concurrent, une réputation de réussite. A long terme, elle répand le soupçon sur les qualités réelles de l’individu et donne une image de marque un peu trouble de filou. Roger Fauroux, ancien patron de Saint-Gobain, l’une des plus grosses entreprises françaises, raconte que lorsqu’il est devenu ministre de l’Industrie, on lui proposa aussitôt, par l’intermédiaire d’un membre de son Cabinet, un confortable « pot de vin » en échange de sa complaisance sur les chiffres truqués d’une société. Il convoqua ses collaborateurs et leur expliqua que ses convictions et l’intérêt de l’Etat lui interdisaient d’entrer dans ce genre de combine. Deux mois plus tard, le fonctionnaire qui avait tenté de le corrompre vint lui parler de sa situation de famille et lui dit : « Je vous admire. Vous êtes clean. Il n’y a personne autour de moi à qui je puisse demander conseil en confiance sur l’essentiel. » Pour les engagements et les choix difficiles, on ne s’appuie que sur ce qui est franc et solide. Les tricheurs ne peuvent pas participer à des projets d’envergure et de qualité. La confiance n’a pas de prix. La triche est le poison de la confiance et de l’admiration. Il convient de vérifier si dans notre propre vie – unité scoute, études, vie de famille, vie amoureuse, aventure, projet, vie professionnelle – nous avons bien jaugé les avantages et les handicaps de la triche, du mensonge et de l’esbroufe. Mille récits et paraboles de la Bible nous racontent que l’homme qui triche est en perdition. Certes, nous ne sommes pas des anges. Mais il semble que les plus gros péchés ne font pas le poids face à la franchise dans la balance de la miséricorde de Dieu. C’est la différence qui existe entre le héros de l’antiquité et le saint : Ulysse, gros roublard, triche avec les dieux de l’Olympe. Le saint ne veut pas tricher avec son Seigneur. Car la triche est l’antidote de l’amour. Le Seigneur nous aime comme nous sommes. Inutile de tricher avec lui. Le psalmiste dit que le mensonge fuit sous le regard de Dieu. On ne peut construire sa vie sous la lumière du Christ en enfonçant des fondations sur la triche. Tout s’écroule. « Malheureux, vous les tricheurs ! La solitude et la tristesse seront votre récompense ! » Plus notre cœur est large, plus nous sommes heureux. La triche crée une mentalité de calculateur et de fourbe, elle ratatine le cœur. Elle engendre le mensonge, la méfiance et la suspicion. Le tricheur est flambeur en apparence et creux en profondeur. Le tricheur est dégoûtant pour les autres parce qu’il fait de l’injustice sa complice. Bientôt le dégoût, comme une marée noire, gagne les plages de l’âme. D’ailleurs, dans Lucky Luke, les tricheurs sont recouverts de goudron… La triche fait mauvais ménage avec la fierté. Quand on a perdu l’estime de soi, quand la dignité n’est plus notre compagne, on devient un fantôme. La triche est une maladie de l’âme. Elle détériore notre santé morale jusqu’à nous rendre insignifiant. Le scoutisme est une école de liberté. Mieux vaut perdre une place convoitée que de perdre la liberté. Nous croyons que notre bien le plus précieux, c’est la vérité qui rend libre. On gâche rarement sa vie sur un échec à un examen. Finalement, Clémentine préfèrera épouser Octave, même s’il a raté le concours de médecine, plutôt que le héros incarné par Léonardo di Caprio dans Attrape-moi si tu peux, dont la triche est la seconde nature. Car l’essentiel n’est pas la réussite acquise par le bluff, mais le pouvoir de regarder ceux qu’on aime droit dans les yeux. « Facile de dire tout ça ! OK pour les grands principes ! Mais au quotidien, la tentation est forte. » Il est peut-être temps de reparler de tout ça en communauté des aînés du Groupe, et d’envoyer à R & P le fruit de votre expérience et de vos réflexions…
Le
frère Philippe Verdin a publié aux édition du Cerf
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